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Tasiilaq

Du ciel, Tasiilaq ressemble à un village playmobil avec ses petites maisons colorées éparpillées sur des collines meringuées. Tout y est petit, mignon, à taille humaine. Sur place, la vie est relativement simple et confortable. Les logements sont tous ultra chauffés, il y a une école, un cimetière, un gymnase, une église, un musée, une remontée mécanique, une maison de retraite, deux supermarchés, deux bars et même un glacier, un vrai, avec des boules vanille, fraise. On en oublierait presque que Tasiilaq, 2000 habitants, est la seule ville à des centaines de kilomètres à la ronde.

Toutes ces infrastructures, les Inuits ne les ont pas choisies. Ce sont les Danois qui les ont installées en fondant la ville en 1894. Jusqu’à cette date, on vivait ici uniquement de chasse et de pêche. Aujourd’hui, les chasseurs sont de plus en plus rares à Tasiilaq. Beaucoup sont au chômage et passent leurs journées dans leur canapé au coin du radiateur à manger des chips ou des pizzas. A quoi bon affronter le froid, le vent, la glace quand le repas est là, à proximité, dans les rayons des supermarchés ? A Tasiilaq on trouve plus facilement du poulet brésilien, des bananes islandaises, du camembert mexicain, de l'agneau ou du kangourou que du phoque. Toutes les marchandises arrivent par hélicoptère depuis Kulusuk, à dix minutes de vol de là, car neuf mois sur douze, la ville est prise dans les glaces. Le voyage coûte 200 euros. Autant dire que le reste du monde, quand on vit à Tasiilaq, c'est un grand voisin inaccessible.

Alors, sans la chasse et la pêche pour rythmer les journées, on s’ennuie. Et pour rompre l’ennui, on boit. On boit beaucoup, énormément même. Tasiilaq a désormais son groupe d’alcooliques anonymes. C'est aussi l’endroit où le taux de suicide chez les moins de 25 ans est le plus important au monde. Un fléau redoutable, incontrôlable. Chaque adolescent a au moins un ami qui s'est donné la mort.


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