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Pourquoi je marche

A l’origine, il y a la volonté de s’écouter rêver, et de suivre cette aspiration, au moins une fois de temps en temps. Je m’y suis risquée une seule fois dans le passé, c’était en 2006 lorsque je suis partie vivre en Jordanie. J’avais beaucoup hésité. Mon anglais était balbutiant, mon expérience dans le journalisme quasi nulle, je ne connaissais personne sur place. J’ai suivi mon coeur plus que la raison et je ne l’ai jamais regretté. Les personnes rencontrées, les paysages arpentés ont dépassé mes espérances.

Dix années se sont écoulées depuis. Entre temps j’ai découvert l’espagnol et ce fabuleux verbe pour dire “offrir” : regalar. On offre, on régale. On s’offre, on se régale. Je décide aujourd’hui de me “régaler” en concrétisant un nouveau rêve : marcher en Espagne. Deux mois. Sans courir. Prendre le temps de rencontrer, d’apprendre, se sentir le corps s’endurcir. Prendre ensuite le temps qu’il faut pour écrire. Deux mois encore, peut-être davantage. Pour vivre pleinement cette aventure, il m’a fallu quitter mon appartement et de mettre mon travail en veilleuse. Faire le choix d’une vie tournée vers autre chose que le matériel. C’est un risque, une folie et pourtant la décision s’est imposée d’elle-même sans que je parvienne aujourd’hui à expliquer comment. “Quand deux chemins s’offrent à toi, choisis toujours le plus difficile, c’est celui qui te mènera au meilleur de toi-même” dit un proverbe tibétain. Il ne s’agit pas d’aller bêtement vers la difficulté mais simplement de s’accorder au diapason de son intuition, d’écouter sa “petite voix” quand bien même celle-ci indique un chemin périlleux.

Le choix de la liberté

Un constat a motivé mon choix : le sentiment d’appartenir à un monde où la notion de pérennité s’est envolée, où se projeter est compliqué, voire impossible. On peut être licencié, se retrouver à la rue en moins de temps qu’il en faut pour le dire. Tant de choses nous échappent... Alors pourquoi ne pas en profiter ? Profiter que rien ne soit gravé dans le marbre pour tenter, risquer, créer. Ne pas subir l’incertitude mais essayer de la dompter. Si rien n’est pérenne alors tout devient envisageable.

Fortifier le corps

Ces dernières années, j’ai eu parfois l’impression d’être une tête. Et seulement une tête. Elle carburait pour démêler l’organisation d’un reportage, optimiser un tournage, harmoniser un montage. Mes jambes, elles, sommeillaient sous le bureau. Il aurait fallu que je trouve la force les soirs pour aller courir ou nager mais j’étais trop fatiguée.

La vertu de la marche

J’ai découvert la puissance de la marche en suivant Sophie, 17 ans, lors d’un reportage pour l’hebdomadaire La Vie. Des problèmes de violence avaient conduit cette jeune fille, brinquebalée de foyers en foyers, devant un juge. Pour s’en sortir, elle avait accepté l’offre de l’association Seuil fondée par Bernard Ollivier : cheminer en Espagne pendant trois mois sans téléphone, sans musique, sans internet pour se défaire de ses ombres intérieures. La formule eut des effets miracles sur Sophie. A la fin de la route, la rebelle s’extasiait devant un noyau d’abricot, parlait parfaitement espagnol et savait se repérer à travers les chemins mieux que son accompagnatrice. Sophie était comme un oignon pelé, allégé de ses couches les plus ternes. La marche l’avait remise à neuf.

Marcher est un cadeau qu’on fait à soi et aux autres. A la faveur de la route, revenir à l’essence de soi-même.

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