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Les pèlerins

(L’aquarelle d’Arthur, un Anglais dont l’atelier se retrouve caché dans la forêt de San Xil)

J’ai rejoint il y a 10 jours l’itinéraire le plus célèbre qui mène à Compostelle, le Camino francès. Des auberges pour une dizaine de personnes, je passe à des refuges de 150 lits, souvent archi pleins. Je comptais profiter de cette nouvelle étape pour filmer des gens, des pèlerins. Mais l’exercice est plus ardu que prévu. Dès que je veux les filmer, je fais le même constat : le décor est plus beau... sans eux. Comme si la présence humaine rompait le charme de la nature. Je nous trouve tous si moches et si ridicules à suer à grosses gouttes dans les cotes, à s’y prendre à trois fois avant de franchir un malheureux ruisseau, à ne rien connaître de la faune, de la flore, de l’histoire des lieux qui nous entourent.

Je fais pourtant de très belles rencontres. Il y a Dania, une illustratrice italienne, Nina, une ancienne styliste, Gary, un avocat texan, Carmen, une journaliste espagnole, Eve, une Australienne championne d’aviron, Natalia, une Allemande au coeur brisé, Patrick un restaurateur suisse... Des trentenaires ou quarantenaires au top de leur vie active et qui se retrouvent là, à dominer des chemins qui les dominent. Une vague d’âmes errantes qui se jette à l’aube sur la route... L’image est belle, et pourtant...

Le problème vient, je crois, du flot de paroles qui accompagne les pas. Filmer, c’est aussi capter les discussions or elles sont souvent bizarrement très ennuyeuses : les ampoules aux pieds, le temps qu’il reste jusqu’à la prochaine étape, le travail, les congés... J’ai dû ce soir m’échapper d’un dortoir où trois copines débattaient sans fin du fait de faire ou non convoyer leur sac par un taxi, de menu du petit-déjeuner le lendemain, du débit de la douche... Sigmond, un grand-père marcheur, avait trouvé la solution : quand une discussion l’ennuyait, il prétextait de ne pas bien entendre.

Les seuls que je prends plaisir à filmer, ce sont les pèlerins accompagnés de leur chien. Sans doute parce que la présence de l’animal impose la plus grande humilité au maître contraint de dormir dehors quand l’auberge refuse le chien, ces binômes-là se fondent parfaitement au paysage.

Étonnant comme le citadin a besoin d’un masque sacrément épais de fatigue et d’usure pour ressembler à quelque chose dans "le grand air".

Ce soir l’orage gronde. Dans les cafés on annonce trois jours de pluie. Boue, vent, froid. Et à la clef peut-être, une plus belle allure.

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