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Le luxe de la simplicité

Bientôt 3 semaines que je suis arrivée dans ce bout du bout du monde. Je craignais de tourner en rond et c’est précisément ce que je fais. Mais quel délice ! Quel délice de passer du potager à la cuisine, de la chèvrerie au four à pain sans jamais s’ennuyer, occupée par une foule d’activités pleines de sens. J’accepte de quitter la ferme quelques heures pour le seul plaisir de la retrouver.

Il y a les tâches quotidiennes (sortir les chèvres, chercher les œufs, cueillir les légumes, rentrer les chèvres...) et celles, ponctuelles, qui tournent cet été autour du logement. Cécile et Hubert, comme Elo et Kevin, ont décidé de construire chacun un habitat léger à l’autre bout du potager pour libérer des chambres dans la maison en vue d’accueillir de nouveaux locataires. Ce sera une yourte pour les uns et une cabane-caravane pour les autres. Je découvre la menuiserie avec l’astucieux système des murs en bambou pour la yourte. Je m’initie à la maçonnerie en construisant les piliers en béton pour la cabane de caravanes. Et le lundi, en général, tout s’arrête. C’est le jour de pain. Hubert allume le feu, pétrit la pâte (45 kg de pain dont une partie sera vendue le lendemain au marché) pendant que nous nous activons à la confection de plats qu’on glissera dans le four encore chaud. Pizza, quiches, gratins, biscuits apéro, moelleux au chocolat... Bonheur d’une cuisson complètement aléatoire qui nécessite de veiller, d’être là pleinement dans ce que l’on prépare. Bonheur de partager ensuite le festin avec les amis et les voisins.

Les jours de grisaille, il y a le travail à la fromagerie. Carreler les murs, organiser la future salle de traite, raccorder l’eau. Les premiers litres de lait sont attendus au printemps. Le troupeau des 21 chèvres vient d’ailleurs de recevoir la visite de Maxime, un vétérinaire d’un nouveau genre. Il fait partie d’un collectif d’agriculteurs et de vétérinaires du Larzac qui mettent en commun leurs connaissances dans un système pour la première fois horizontale. Pas de frontière entre le rat des villes et le rat des champs, entre l’intellectuel et le paysan. Maxime a aujourd’hui fait la route depuis Millau simplement pour s’assurer que les chèvres se portaient bien. Je suis hallucinée par cette démarche où l’on prévient plutôt qu’on guérit. Le vétérinaire est là pour « rééquilibrer la machine, pour éviter que l’animal tombe malade ». Une scène qui me replonge dans La Crise :

https://www.youtube.com/watch?v=JQU5R5uPBX8

Je suis sidérée de voir à quel point ce bon sens est aujourd’hui encore si peu valorisé. Voguant à contre-courant des supermarchés, des crédits à tout-va, du tourisme lointain, la ferme vit aujourd’hui de quelques sous. Une économie de tirelire d’enfant. Je n’ai pourtant jamais eu le sentiment de manier autant d’or : des tomates bien rouges, du pain qui nourrit, des œufs avec un cœur bien jaune... La simplicité est réellement devenue un luxe.

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