Neomad

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Le chien et la fille

On raconte que des bêtes de ma race passent leur journée à ronfler tranquillement au coin du bois. Je ne connais pas ce bonheur. Moi, j’ai été conçu pour ne jamais dormir. Même la nuit, surtout la nuit. C’est là que les renards rôdent et rêvent de croquer le cou d’un mouton. Les soirs de pleine lune, j’aperçois leurs babines fumantes, comme s’ils salivaient à l’idée de leur assaut. Ils puent le sang, la charogne, la saleté. La journée, c’est une autre histoire. Je dois japper sur ... des marcheurs. Ma mission est délicate : Je dois les laisser pénétrer dans mon enclos, par lequel passe leur chemin, tout en les maintenant à distance du troupeau. J’en ai vu plus d’un faire demi-tour. Il faut avouer que j’impose : une carrure de loup avec un pelage d’ours. Pourtant eux, ce ne sont pas des ennemis et j’aimerais bien m’en faire des amis. Ils sentent le soleil et la tartine au blé complet, l’odeur si douce de mon maître. Je m’ennuie tellement tout seul... Mais voilà, on oublie plus vite les effluves du pain que la sensation du coup de ceinture sur les flancs. Je suis une bête, comme on dit, “civilisée”.

Quand elle a approché de mon l’enclos, j’ai jappé. Mais c’était encore plus difficile que d’habitude. Son odeur était un mélange de celle humide et poussiéreuse des roseaux et celle, sucrée, de mon meilleur ami, Luis, 4 ans, le fils de mon maître. L’inconnue sentait l’eau et les bonbons. Comme je continuais de japper, elle a tenté de m’amadouer avec... un raisin sec ! Je vous jure, un raisin sec. J’ai ri. Si elle savait... mon estomac déborde ici ! Il faut bien que ma labeur ait un avantage : les rats grouillent ici et quand j’en attrape un, il est tout entier à moi. Un inépuisable garde-manger.

Une fois de l’autre côté de la barrière, je n’ai rien compris. Elle a foncé sur moi en souriant, les bras tendus comme pour m’embrasser. Je n’ai pas bougé. Ses mains se sont enfouies dans mes poils à l’endroit que je préfère, sur la tête, là, entre les oreilles. Que c’était bon... La dernière fois qu’on m’a caressé remonte au temps où j’étais encore doux, propre et petit comme un chat.

Alors, elle s’est assise sur l’herbe et j’ai jappé de joie. J’en suis tombé sur le dos, les quatre pattes en l’air. Elle m’a caressé le ventre. Que c’était bon... On aurait dit qu’elle aussi se sentait seule. Elle me parlait, me parlait, je ne comprenais rien mais ça devait être tendre. J’étais si content... Enfin j’avais une amie ! Je voulais tout lui montrer : ma niche, les moutons, les petits, les grands, les noirs, les blancs, l’arbre sous lequel s’allonger quand le vent gronde. Pour fêter ça, j’irais nous chasser un lapin, tiens. Mais voilà, elle s’est levée, a caressé mon cou, m’a serré la patte en disant une nouvuelle parole tendre. Puis elle m’a tourné le dos. J’ai bien failli pleurer mais sur le lieu de travail généralement j’évite. Je me suis secoué comme pour me réveiller et je suis reparti compter mes brebis.


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