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La dernière ligne droite

Lorsque mardi matin (cinq jours après la date initiale de notre départ), nous avons enfin reçu la confirmation que le vol allait bien avoir lieu, j’ai sincèrement cru que notre groupe était tiré d’affaire, que nous pourrions tous atteindre dans la journée Kulusuk puis Tasiilaq, en hélicoptère. J’étais bien naïve.

A l’aéroport de Reykjavik, les dix skieurs français apprennent qu'il n'y a que quatre places pour eux à bord. Air Iceland est vraiment navrée pour ce léger surbooking. Le reste du groupe pourra partir le lendemain matin, promis. Visages blêmes des Français qui tirent à la courte paille pour savoir qui reste et qui retourne profiter du fabuleux Salad Bar du Formule1 de Reykjavik.

Les heureux élus montent finalement dans le minuscule coucou à hélices avec nous et tout se déroule comme prévu jusqu’à l’atterrissage. J’allume alors l’une de mes deux caméras. Dans mon écran, la mer de glace passe du violet au vert. L’image tressaute, se fige. J’éteins la caméra, je la rallume. Message d’erreur. Black out. Je suis au Groenland et ma camera is dead. J'ai envie de pleurer.

L'avion se pose sur l’aéroport international de Kulusuk, un village d'une centaine d'âmes qui doit sa survie aux vols réguliers depuis l'Islande et depuis la côte ouest du Groenland. Ma pauvre caméra inerte à la main, j’entame la file d’attente pour récupérer nos billets d’hélicoptère pour Tasiilaq. Nous sommes nombreux mais puisque les mouches à moteur bourdonnent au-dessus de nos têtes, tout devrait bien se passer. Et puis Tasiilaq, ce n’est qu’à 10 minutes de là... Les Français obtiennent un billet pour le vol de 19h, les Danois pour le 18h, les Allemands pour le 17 h. Quand arrive notre tour, je crois m’étouffer en lisant sur notre carte d’embarquement... 9 h du matin. La jeune inuite au guichet secoue placidement la tête "plus de place pour aujourd’hui, désolée". Je sens soudain mes nerfs qui lâchent. Les larmes inondent mes joues en voyant les voyageurs confortablement installés sur les fauteuils un livre à la main en attendant leur vol. La caméra et puis cette nouvelle attente... Pourquoi faut-il que ça tombe sur nous ?

Je décide de sortir aérer ma colère. Le paysage est enchanteur. Au loin la banquise scintille sous un doux soleil et devant moi dix chiens de traineau attendent tout excités l'arrivée d'une touriste pour filer droit vers la glace. Je devrais me réjouir d'être enfin ici, au Groenland, mais ce départ de nouveau différé est la goutte de trop. Là c'est certain, nous n'aurons pas le temps de faire tous les reportages prévus. Il va falloir tout revoir, tout repenser. Les doutes m'envahissent et je camoufle mon visage écarlate dans la fourrure de ma capuche. Je passe devant Johann qui ne sait plus quoi faire pour me consoler. Il me propose sa cigarette, je m’en vais en chialant de plus belle.

Dans le hall de l’aéroport, la même employée de la compagnie aérienne tend des billets d’hélicoptère à d’autres passagers pour le jour même. C’est à n’y rien comprendre. J’essaie de rallumer ma caméra. Toujours le même message d’erreur. Visiter Kulusuk ? Impossible. Pour s'y rendre, il faut des motoneiges que Air Greenland n'a pas encore contacté tout simplement parce que la compagnie ne sait absolument pas où nous loger... A cet instant précis, je me demande vraiment ce qu'on vient faire ici.

Et puis soudain, ô miracle !, la jeune inuite du guichet bondit. Elle sourit si fort que ses deux belles joues rouges obstruent ses yeux. "Venez vite ! Un désistement de dernière minute ! Vos noms, vite !" Quelques secondes plus tard, elle pousse un cri de joie. Nous serons dans le tout prochain hélico pour Tasiilaq.

Luna, une jeune inuite me serre subitement dans ses bras. Les voyageurs nous regardent embarquer, bouche bée.

Une fois à l'héliport de Tasiilaq, nous tombons nez-à-nez sur Robert Peroni, l'homme aux 30 expéditions sur la calotte glaciaire, chez qui nous logerons. Sa fabuleuse maison d'explorateurs, la mythique Red House, se dessine déjà sous les amas de neige. L'aventure peut enfin commencer.

https://youtu.be/KviuCdbGJOI

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