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Groenland, l'art de la patience...

On pense d'abord que se rendre au Groenland est simple. Quelques clics sur Skyscanner et hop, voilà sa place dans l’avion pour le Grand Nord réservée. S’il n’y avait pas les zéros qui s’accumulent derrière le prix du billet, on se rendrait à Tasiilaq, la seule ville sur la côte est du Groenland, aussi simplement qu’à Barcelone. C’est la magie du XXIe siècle pour l’heureuse Occidentale que je suis. Brouiller les frontières, rendre la planète entière accessible. Même plus la peine de se déplacer dans une agence pour récupérer les billets d’avion car les billets, il n’y en a pas. Seulement un numéro de réservation et une série d’instructions qui arrivent directement sur votre boîte mail.

Les instructions, avec Johann, nous les avons suivies à la lettre. Nous nous sommes d’abord rendus à Paris au plus fort des grèves, puis à Reykjavik et enfin, le jour J, nous nous sommes présentés à l'aéroport des vols domestiques de Reykjavik, un hangar à peine plus grand qu’un Monoprix. Et là, tout s’est subitement compliqué. Vol annulé pour cause de mauvais temps à destination. Air Iceland nous indique l’hôtel où nous serons pris en charge en attendant notre nouveau rendez-vous aérien prévu le matin suivant. Avec les autres passagers malchanceux (un groupe de skieurs français, des touristes néerlandais, quelques familles inuits, un électricien danois, une journaliste allemande) on commence à faire connaissance. On est tous confiants quant au vol du lendemain. Le mauvais temps après tout, ça arrive au Groenland. C’est même très courant. On se réjouit presque que l’aventure vienne à nous depuis Reykjavik. Le Groenland se mérite donc tout de même un peu. C’est un juste retour des choses.

Au fond, ce changement de plan m’arrange. Une rage de dent, de longues heures à rouler sous les rideaux de pluie islandaise, un tournage dans un vent glacial, une succession de repas rapides à base de nouilles chinoises... ces quelques jours en Islande m’ont lessivée. Notre planning au Groenland a beau déborder de partout, je sais d’expérience qu’arriver en reportage quand on est fatigués n’est jamais salutaire. Je dors donc pratiquement 12 heures d’affilé et saute de joie en découvrant le buffet à volonté de l’hôtel. Des crudités en veux-tu en voilà. Bonheur de faire le plein de vitamines avant de nous rendre là où la salade est aussi rare que le phoque chez nous.

Le lendemain, la mauvaise nouvelle arrive directement à l'hôtel : vol de nouveau annulé. Trop de vent. Là-bas, à moins de 2 heures de vol de Reykjavik aucun avion n’atterrit ni ne décolle. Totalement surréaliste d'imaginer une tempête alors qu'ici le ciel est simplement laiteux. Dans le hall de l’hôtel, c’est partout la soupe à la grimace. Je me console en me disant qu’on est samedi, que c’est le weekend à Tasiilaq, que les Groenlandais sont en famille, que nous n’aurions donc pas pu rencontrer beaucoup de monde. Partir le dimanche est embêtant mais récupérable. Nous serons d’attaque le lundi matin, c’est l'essentiel.

L’après-midi, nous recevons un mail personnalisé d’Air Iceland nous informant qu'il n'y aura pas non plus de vol dimanche. Il faut attendre lundi. Dans les fauteuils en cuir de la réception, les skieurs français transpirent à grosses gouttes dans leur combinaison. Et pourquoi n’iraient-ils pas faire du ski en Islande ? C’est que les skis, eux, sont déjà au Groenland... Ah...

Avec Johann, nous décidons de tuer le temps en visitant des sources d’eau chaude situées en périphérie d’un village dans le sud du pays. Les photos sur la Toile font rêver. Des rivières de bouillons fumants au milieu d’immenses pâtures peuplées de chevaux islandais. Et puis Hveragerði, c'est un charmant village nous assure la réceptionniste de l'hôtel qui ne sait plus quoi faire pour nous occuper. Deux heures plus tard, on arrive sous un crachin breton dans un village fantôme où les maisons ressemblent à de mini hangars froids et impersonnels. En guise d’animation, un vulgaire snack avec des hotdogs à 10 euros (très bon marché pour l’Islande) où de gros Islandais s’empiffrent de glaces américaines. Le chemin des sources, lui, est fermé. « Ah c’est dommage... Là derrière la barrière il y a une cascade d’eau chaude avec une rivière assez large pour nager. Ca rouvrira au printemps », nous assure-t-on. Juste quelques jours trop tôt. Dommage oui. On parvient finalement à atteindre un malheureux ruisseau brûlant. Impossible même d’y mettre une main. Un peu plus loin, on entend bouillir les entrailles de la terre dans une crevasse fumante de deux mètres de diamètre. J’ai l’impression d’écouter mon propre bouillonnement intérieur.

Lundi matin, le soleil est revenu. Confiante, je descends à la réception, prends un café, allume mon portable mais là, nouveau message d’Air Iceland : vol annulé. C'est à ne rien comprendre. Comment le temps peut-il être si différent là-bas ?

Nous en sommes là.

Cette interminable attente a au moins un avantage. J’en sais désormais plus sur Tasiilaq grâce aux Inuits lancés comme nous dans cette aventure aérienne. Des choses plus ou moins rassurantes d'ailleurs. Je sais qu’il y a deux discothèques, qu’un certain "Zeggy le Danois" a un grand bateau pour se balader pour pas trop cher entre les fjords, que la maison à côté du bar est celle du chasseur d’ours, qu’une équipe de TV française est déjà en train de tourner à peu près tous les sujets qu’on planifie de faire, que les Inuits fonctionnent comme les Africains et surtout, qu’il ne faut rien vouloir préparer en amont.

Rien préparer. Fermer les yeux, respirer et espérer croiser les bonnes personnes au bon moment. C’est peut-être ça le plus difficile pour la voyageuse du XXIe siècle que je suis, irrémédiablement et déplorablement accrochée à internet. Des mois que j’essaie d’organiser ce séjour et je ne sais absolument pas qui je vais rencontrer. Aucun numéro de téléphone, aucune adresse, juste un vague plan de Tasiilaq qu’on a bien voulu me griffonner sur mon carnet. Turbulences, vous pouvez bien secouer notre petit avion, le vertige est déjà en moi !

https://youtu.be/pdn76psax1s

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