Neomad

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Grand blanc

Texte exposé jusqu'à mi-novembre dans le hall du musée Pierre Noël à l'occasion de l'exposition photos de Françoise Beauguion lors du Festival International de Géographie.

Tu dis que mes yeux sont pareils les oiseaux arctiques, petits et immenses à la fois.

Tu ne comprends pas.

J’ai derrière moi vingt-six hivers longs comme une nuit.

La nuit ? Rien à côté du froid qui déchire les joues.

Le froid ? Rien à côté du silence, tenace, assourdissant.

La glace a bu les bruits et j’habite une prison sourde. Ne reste que des sons, éphémères. Glace qui craque, vent qui brise, corbeaux qui guettent, vague qui mord le rivage, voiles qui sifflent, bateaux qui tanguent.

« Silence like a cancer grows »

Je regarde au loin et je n’entends que lui, masse opaque et épaisse, mur acoustique du ventre maternel.

J’ai la douleur à fleur de racines. Mes racines inuites, lentement, méthodiquement brisées par les vagues d’occupants.

Le silence de notre dissolution, voilà le pire.

Tu me dis que je suis comme un flocon de lune atterri là, on ne sait comment.

Tu me fatigues.

Je ne suis que le fantôme de ta propre culpabilité. Bientôt tu bâtiras des musées pour me garder bien au chaud dans ta petite mémoire d’homme.

Cesse de me désirer. Je ne t’aime pas, toi et ta peau qui suinte mille ailleurs, tes yeux assoiffés de connaissance, tes pieds qui écrasent tout. Je vais te dire, étranger. En toi, je vois les guerres et le sang séché des espèces disparues. Ton pâle destin m’éclabousse.

Tu veux me connaître. Soit.

Tu crois peut-être qu’un monde nous sépare parce que tu me happes à l’autre bout du tien ? Mais il existe un territoire bien plus vaste que tous les territoires. Là où le ciel respire, les hommes se partagent le ventre gonflé de la terre.

Tu veux savoir ? Toi et moi, on se connait comme nous-mêmes on s’ignore.

Regarde mes mains, elles sont pareilles aux tiennes, recouvertes de veines éclatantes.

Le désir est sans frontière et le reste, nos vies, n’est que fantaisie.

J’ai si froid soudain,

Fais-moi une place dans ton coeur de juillet

Je vois des collines fauves, des pluies de feuilles dorées et une houle d’herbes folles.

On s’enroulera dans les bras des arbres, on atteindra des cimes venteuses, on criera à en briser le ciel et on allumera un feu pour y faire fondre le silence.

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